Une présentation des chenilles processionnaires et de ses enjeux pour la santé.
Méthode
Les inégalités environnementales et la santé : mieux comprendre les liens pour mieux agir
Mots clésDepuis le XIXe siècle, l'impact des facteurs sociaux sur la santé est interrogé (1). En particulier, on constate que l'état de santé et l'espérance de vie des individus diffèrent en fonction de la catégorie sociale d'appartenance, ce qui sera défini plus tard comme les « inégalités sociales de santé ». Ces inégalités ne concernent pas les différences génétiques ou physiologiques des individus, généralement désignées comme « inégalités de santé ». Les inégalités sociales de santé renvoient à des facteurs sociaux extérieurs tels que les revenus, le type de travail, le niveau d'éducation, le genre, la culture, l'appartenance à un groupe racialisé ou encore l'orientation sexuelle (2). Il s'agit d'inégalités qui traversent l'ensemble de la société selon un continuum : plus on est socialement favorisé, plus on aura une espérance de vie longue et des chances d'être en bonne santé. En France par exemple, un ouvrier de 35 ans a une espérance de vie inférieure de près de 7 ans à celle d'un cadre (3).
Aux inégalités sociales de santé s'associent les « inégalités territoriales de santé » qui sont le reflet « des disparités socioéconomiques des territoires, mais également des disparités dans l'offre et l'accessibilité locale de services sanitaires, sociaux et médico-sociaux »4.
Plus récemment, le domaine de la promotion de la santé s'intéresse aux « inégalités environnementales » qui désignent des inégalités sociales dans le rapport à l'environnement. Un rapport de l'OMS de 2019 sur les Inégalités en matière d'environnement et de santé en Europe souligne l'importance de lutter contre ces inégalités afin de contribuer à des sociétés plus justes, mais aussi plus homogènes en matière de santé. Mais de quoi parle-t-on quand on parle d'« inégalités environnementales » ? Quels liens existent-ils avec les inégalités sociales de santé ? Et comment lutter contre ces inégalités ? Cette fiche repère apporte des éléments d'éclairage afin de répondre à ces questions.
Un domaine d'étude issue du militantisme
La notion d'inégalités environnementales en lien avec des facteurs sociaux a d'abord émergé dans les années 1970 aux États-Unis, avec le terme de « justice environnementale » (Environmental Justice). Cette approche, qui prend en compte les disparités d'exposition aux risques environnementaux comme les polluants ou les catastrophes naturelles, a été impulsée par des mouvements militants et de lutte contre les discriminations de populations racialisées (5). Ces mouvements dénonçaient la proximité systématique d'infrastructures industrielles fortement polluantes aux habitations des populations afro-américaines et sa corrélation avec des problèmes de santé (6).
Inégalités écologiques et inégalités environnementales
Le concept de justice environnementale traverse l'Atlantique et trouve une résonance en France lorsqu'en 2002, le Comité français pour le sommet mondial du développement durable traite des « inégalités écologiques ». Ces dernières sont définies comme un problème qui « recouvre une exposition aux risques naturels et techniques, une dégradation de la qualité de vie, une privation relative de certains biens et services communs allant jusqu'à un accès restreint ou altéré à des ressources vitales »(7). Les notions d'inégalités environnementales et inégalités écologiques sont confondues et pas clairement définies.
En 2006, Emelianoff donne une première définition des inégalités environnementales qui renvoie à « l'idée que les populations ou groupes sociaux ne sont pas égaux face aux pollutions, aux nuisances et aux risques environnementaux pas plus qu'ils ont un accès égal aux ressources et aménités environnementales »(8). Cette nouvelle définition intègre l'idée de l'individu comme « récepteur » d'impacts environnementaux, négatifs ou positifs. Finalement, les deux notions se clarifient :
- Les inégalités écologiques renvoient plus spécifiquement aux émissions de polluants et à l'inégale distribution des droits à polluer.
- Les inégalités environnementales sont qualifiées plus généralement d'inégalités sociales d'accès aux maux et biens environnementaux (9).
En parallèle, le concept de justice environnementale trouve sa place comme moyen de réponse face aux inégalités environnementales.
Inégalités environnementales : une expression qui touche à plusieurs dimensions
Actuellement, la notion d'inégalités environnementales recouvre toute dimension qui résulte de la manifestation des inégalités sociales dans le rapport à l'environnement. Il ne s'agit donc pas d'une nouvelle sorte d'inégalités, « mais de la dimension environnementale des inégalités socioéconomiques » qui traversent la société à l'échelle d'un territoire, d'un pays et de la planète (10).
Ces inégalités touchent à :
- L'exposition aux risques environnementaux qu'il s'agisse de facteurs chroniques comme la pollution, ou soudains comme une catastrophe naturelle.
- L'accès aux ressources naturelles. Cela indique l'inégalité d'accès à des ressources de base comme l'eau ou l'énergie, mais aussi aux aménités naturelles : espaces verts, forêts, bords aménagés d'une rivière ou d'un littoral.
- L'impact qu'on peut avoir sur l'environnement en termes d'épuisement des ressources ou de dégradation de l'environnement de par son mode de vie.
- La capacité à se saisir des actions collectives ou publiques qui permettent d'agir sur son propre environnement et à bénéficier de leurs effets.
- L'accès à la prise de parole et aux décisions inhérentes à la gestion de l'environnement et des ressources.
A retenir
Tout le monde peut être affecté par des risques environnementaux, mais pas de la même manière. Par exemple, tout individu peut être touché par une catastrophe naturelle comme une inondation qui détruit sa maison, mais sa capacité à faire face aux conséquences de cette catastrophe est liée à la catégorie sociale, à ses ressources économiques et juridiques (11).
Au-delà du différentiel d'exposition, c'est-à-dire le fait d'être plus exposé à certains risques que les autres, il faut tenir compte du différentiel de vulnérabilité. Ce dernier renvoie au fait que d'autres inégalités peuvent se cumuler, comme la difficulté d'accès aux soins, des conditions de travail plus difficiles, des comportements moins favorables à la santé, des pathologies préexistantes.
Les inégalités environnementales sont des injustices, car on ne peut pas les attribuer à la responsabilité de ceux qui les subissent. Elles sont le résultat de processus sociaux et de rapports de pouvoir pour lesquels les catégories les plus défavorisées payent les conséquences des modes de vie et des choix de catégories plus favorisées (12). Une enquête du CREDOC de 2018 montre qu'en France l'empreinte écologique (impact d'un consommateur sur l'environnement) dépend largement du revenu : plus il est élevé, plus le consommateur utilise des ressources et pollue (13). Une autre étude à l'échelle européenne souligne que ce sont les ménages les plus pauvres et les plus vulnérables qui ont le plus faible impact sur l'environnement en raison de leur consommation restreinte. Ces ménages contribuent le plus à protéger l'environnement, mais bénéficient le moins des biens environnementaux qu'ils protègent (14).
Certaines politiques ont tendance à désavantager les populations moins favorisées.
Illustration avec deux exemples.
Exemple 1 : l'interdiction des véhicules vieillissants dans les centres villes impacte davantage les ménages à faibles revenus, bien que ce soit potentiellement utile pour l'amélioration de la qualité de l'air. Sans mesures d'accompagnement ou compensatoires, cela entraîne un accroissement des inégalités environnementales par l'exclusion des populations précaires des centres villes et un déplacement de la pollution vers les territoires périphériques.
Exemple 2 : « Les efforts demandés par les politiques pour protéger les ressources en eau sont essentiellement supportés par les consommateurs, via leur facture d'eau, indépendamment de leur niveau de revenus ». Cela impacte davantage les ménages le plus pauvres, alors que les « plus gros consommateurs restent libres de leurs pratiques (alimentation piscine, arrosage des jardins…) hors arrêtés de restriction d'eau en cas de sécheresse. »(15).
Impact et conscience écologique : Une situation paradoxale
Malgré le fait que les catégories sociales les plus favorisées soient davantage responsables de la dégradation de l'environnement, elles sont culturellement associées à une conscience écologique plus développée que celle des catégories défavorisées. Comme le note l'étude du CREDOC, la sensibilité aux problèmes environnementaux serait associée au niveau de diplôme. Cette sensibilité se traduit en termes de « petits gestes » dont l'intention est de bénéficier à la planète : tri des déchets, flexitarisme (consommation occasionnelle de viande), achat de produits ménagers à moindre impact écologique. Ces pratiques souvent propres aux ménages plus favorisés sont par ailleurs socialement valorisées par les politiques publiques. Cependant, ce sont ces mêmes ménages qui portent le plus atteinte à l'environnement en raison de leur mode de vie : « l'utilisation accrue d'équipements numériques », le tourisme aérien sur-développé, creusent un écart entre bonnes intentions écologiques et pratiques réelles (16).
Au contraire, bien que les populations à faible revenu aient moins d'impact sur l'environnement, on a souvent tendance à leur imputer la dégradation des ressources et des espaces naturels en raison de certains usages populaires : pique-niques, cueillettes de plantes sauvages, etc. Mais ces usages sont disqualifiés, car ils ne respectent pas certaines normes sociales, plutôt que pour l'impact réel qu'ils ont sur l'environnement (17).
Une pluralité d'écologies
Contrairement aux idées reçues, certains travaux indiquent que les préoccupations écologiques ne sont pas l'apanage des catégories ou des pays les plus riches avec le plus haut niveau d'études. Parce que les populations les plus vulnérables sont souvent très dépendantes de leur environnement pour survivre, elles s'emploient à le défendre quand il est menacé. Il s'agit de ce que l'économiste Martinez-Alier appelle « activisme de l'urgence » : il prend l'exemple des luttes contre la destruction des forêts de mangroves qui ont été portées par des populations marginalisées de l'Équateur ou de l'Inde (18). Chez les populations à plus faible revenu, les préoccupations environnementales s'associent également à des préoccupations sociales, sanitaires et à la lutte contre le racisme. Ce qui a permis notamment la naissance du concept de « justice environnementale » dans les années 1970. D'autres travaux soulignent comment ces mêmes populations sont souvent porteuses d'habitudes de vie et de « pratiques de sobriété » dont les catégories sociales plus favorisées pourraient s'inspirer afin de réduire leur impact sur l'environnement (19).
Les chercheurs et chercheuses identifient de grandes orientations pour les actions et les politiques publiques à mener afin de réduire les inégalités environnementales.
De manière générale, il s'agit de mieux repartir l'effort environnemental qui peut être défini comme une contribution suscitée ou spontanée à la protection de l'environnement. De nombreuses études montrent que cet effort est davantage porté par les populations les plus vulnérables alors que paradoxalement, ce sont les populations les plus riches qui profitent des bienfaits de cet effort, tout en portant le plus atteinte à l'environnement. Il faut que ce constat soit intégré à la définition des politiques publiques pour contrecarrer la répartition inégale de l'effort environnemental. De manière générale, l'effort environnemental « juste » devrait être « proportionnel à l'impact écologique » et tenir « compte des inégalités existantes, afin de les réduire ou a minima de ne pas les aggraver » (21).
Cela nécessite la mise en œuvre de politiques plus justes grâce à des dynamiques de plaidoyer et d'organisation collective. Afin d'aller dans ce sens, des leviers importants sont à retenir :
- Sensibiliser les décideurs et les professionnels à l'existence des inégalités environnementales et déconstruire les idées reçues. Il s'agit de diffuser les données qui montrent l'existence et l'impact de ces inégalités sur la santé des populations. Cela peut se faire via des documents, des vidéos, mais aussi grâce à des rencontres, webinaires et conférences sur le sujet. Lors de ces occasions, il est également important de renverser le modèle classique qui fait des catégories sociales favorisées les seules porteuses d'une sensibilité écologique. Dans ce cadre, il peut être utile d'organiser des débats, questionner les représentations et apporter des témoignages qui montrent l'existence d'une pluralité d'écologies et valorisent la contribution des populations défavorisées au « bien-être » de l'environnement.
- Informer les populations concernées. Souvent, les inégalités environnementales ne sont pas perçues comme des injustices par ceux et celles qui les subissent. Certaines sociologies mettent en avant le « droit à savoir » de populations concernées. Cela non seulement pour qu'elles puissent adopter des gestes de réduction des risques auxquels elles sont exposées, mais aussi pour qu'elles se sentent plus légitimes à demander des interventions ou à être prises en considération dans les actions de protection de l'environnement, ainsi qu'à bénéficier de celles-ci. Les méthodes d'éducation populaire sont particulièrement utiles dans ce cadre : groupe d'interview mutuel, enquête conscientisante, arpentage, théâtre forum (pour aller plus loin : Éventail de méthodes d'éducation populaire pour renforcer le pouvoir d'agir). Il est aussi important d'adapter les messages au niveau de littératie des personnes (Voici des fiches pratiques pour adapter sa communication en santé : les fiches LISA).
- Impliquer les populations concernées et s'appuyer sur des démarches participatives. Il s'agit d'impliquer les populations locales et plus vulnérables au processus de décision et de mise en œuvre de mesures de protection de l'environnement. Cela permet d'assurer le partage des bénéfices et apparaît comme une piste de solution pour améliorer l'équité, et favoriser l'adhésion et l'efficacité des actions (22). Les démarches participatives peuvent varier en fonction du type d'action, de son ampleur et de ses objectifs : référendums, réunions d'information, consultations, concertations, forums communautaires, ateliers créatifs, jurys de citoyens, etc. (Pour aller plus loin : Animer des démarches participatives en santé-environnement). Dans ce cadre, on peut s'appuyer sur des associations et collectifs de quartier, ou encore sur des événements festifs connus et fréquentés par les populations ciblées afin d'aller à leur rencontre.
En bref, il s'agit d'inscrire la lutte contre les inégalités sociales de santé dans les actions de protection de l'environnement, et de renforcer le pouvoir d'agir des populations concernées.
Notes/ Bibliographie
[1] Berghmans L., Contexte. Inégalités sociales de santé. Une histoire ancienne d'actualité, Éducation Santé, 2009.
[2] Lambert H. et al, Onze fondamentaux en promotion de la santé : des synthèses théoriques, Bruxelles : UC Louvain/IRSS-RESO & Promotion Santé Normandie & Fnes, 2021.
[3] Champion JB. Et al, Les hommes cadres vivent toujours 6 ans de plus que les hommes ouvriers, Insee, 2016.
[4] Chevaillier G., Les inégalités sociales et territoriales de santé, Rennes : EHESP, 2021.
[5] Lejeune Z., La justice et les inégalités environnementales : concepts, méthodes et traduction politique aux États-Unis et en Europe, Revue française des affaires sociales, n° 1-2, pp. 51-78, 2015.
[6] Lejeune C., Justice sociale et durabilité, la rencontre est-elle possible ? Portée politique de l'expérience vécue des injustices écologiques, Vertigo, La revue électronique en sciences de l'environnement, vol. 19, n° 1, 2019.
[7] Durand M., Jaglin S., Inégalités environnementales et écologiques : quelles applications dans les territoires et les services urbains ?, Flux, vol. 89-90, n° 3-4, 2012.
[8] Emelianoff C., Connaître ou reconnaître les inégalités environnementales ?, Université du Maine, 2006.
[9] Lionel C., Emelianoff C. et al., Les multiples facettes des inégalités écologiques, Développement durable et territoires, vol. 11, n° 2, 2020.
[10] Larrère C., Conférence de Catherine Larrère « Santé et inégalités environnementales », Marcy-L'Etoile : VetAgro Sup, 2021.
[11] Deldrève V., PODCAST/« Inégalités sociales de santé et environnementales : quels liens et comment agir ? », Lyon : IREPS Auvergne-Rhône-Alpes, 2021.
[12] Larrère C., op. cit.
[13] Sessego V., Hébel P., Consommation durable : l'engagement de façade des classes supérieures, Paris : CREDOC, 2019.
[14] Deldrève V., Candau J., Produire des inégalités environnementales justes ?, Sociologie, vol. 5, n° 3, pp. 255-269, 2014.
[15] Deldrève V., PODCAST/« Inégalités sociales de santé et environnementales : quels liens et comment agir ? », Lyon : IREPS Auvergne-Rhône-Alpes, 2021.
[16] Larrère C., op. cit.
[17] Sessego V., Hébel P., Consommation durable : l'engagement de façade des classes supérieures, Paris : CREDOC, 2019.
[18] Deldrève V., Candau J., Produire des inégalités environnementales justes ?, Sociologie, vol. 5, n° 3, pp. 255-269, 2014.
[19] Deldrève V., 2021, op.cit.
[20] Larrère C., 2021, op. cit.
[21] Deldrève V. et al., Effort environnemental et équité. Les politiques publiques de l'eau et de la biodiversité en France, Berne : Peter Lang, 2021.