Une présentation des chenilles processionnaires et de ses enjeux pour la santé.
Méthode
Evaluation des risques : trouver un équilibre entre savoirs scientifiques et expérience vécue
Mots clésSur les problématiques en santé-environnement, le débat public peut avoir tendance à être confisqué par des « sachants » et des experts qui bénéficient d'une place de choix dans l'orientation des débats de société ; les citoyens étant souvent disqualifiés au motif qu'ils ne savent pas. A travers cette fiche, nous souhaitons démontrer au contraire que les perceptions des non-spécialistes sont tout autant légitimes et rationnelles, s'appuyant sur des raisons solides que ces derniers sont capables d'énoncer. Rééquilibrer les pouvoirs et installer une dynamique de dialogue dans l'objectif d'une réappropriation citoyenne des enjeux de santé-environnement actuels nécessite de dépasser les positions de défiance, les discours tranchés et les jeux de postures. Cela passe nécessairement par la reconnaissance de la pluralité des perceptions, représentations, intérêts et valeurs des acteurs, ainsi que de leurs savoirs d'usages et expérientiels.
Les « technosciences » désignent l'intrication des liens entre sciences et techniques, leur constitution comme savoir-pouvoir, leur omniprésence dans notre quotidien, ainsi que la multiplication des instances et des instruments pour les réguler.
La manière d'appréhender les enjeux de santé-environnement à travers une approche par la gestion des risques consiste souvent à déléguer aux scientifiques et techniciens la qualification des dangers et leur niveau d'acceptabilité par la population. Dans le cadre de cette approche, « l'analyse des risques s'appuie sur une démarche fondée sur des méthodes scientifiques et un arsenal d'instruments techniques (le calcul économique, l'optimisation ou l'élaboration de normes de comportements) visant à modéliser, contrôler et maîtriser des incertitudes » (Boudia, 2013).
Cette approche des problèmes en santé-environnement par la gestion des risques place seulement l'enjeu sur l'acceptation de ces risques par les populations (au moyen d'une évaluation quantitative des menaces et dangers). Une approche qui rend superflus les débats collectifs sur les enjeux liés à l'installation généralisée de ces technologies dans notre quotidien, et qui met de côté les questions sociales et politiques en privilégiant une approche gestionnaire des choix technoscientifiques.
Par exemple, concernant les pesticides, le modèle par la gestion des risques délaisse la question relative à leur utilisation pour se concentrer sur la production de normes d'exposition, règles d'usage et suivi d'intoxications (par le calcul d'un seuil acceptable).
Enfin, le modèle de la gestion des risques sanitaires et environnementaux est marqué par de fortes incertitudes, qui peuvent être de nature très variée (méthodologiques, stratégiques, financières, etc.) et souvent liées à la complexité de l'objet étudié (car multifactoriel, aléatoire, diffus, etc.). Ainsi, le décalage entre les attentes fortes de la population et l'absence de réponses claires et définitives d'études scientifiques peut agir en retour comme une « boucle interprétative » créant un état quasi-permanent de défiance et de préoccupation. Aussi, le recours à l'expertise scientifique peut paradoxalement contribuer à amplifier ou confiner le doute et les incertitudes autour d'un problème.
Exemples : la laborieuse administration de la preuve scientifique sur les incidences sanitaires de l'exposition à des substances chimiques en raison des effets combinés de différents facteurs (pesticides, perturbateurs endocriniens, etc.) ; les controverses autour de l'homéopathie ; les contradictions scientifiques sur la mesure de l'impact des ondes électromagnétiques, les biotechnologies, le nucléaire, etc.
Il semble ainsi crucial pour dépasser cette approche de rééquilibrer les forces en présence entre expertise scientifique et expertise d'usage/expériences vécues par les usagers.
La question de la critique et de la contestation des technologies à risque (pesticides, nucléaires, OGM, ondes électromagnétiques, etc.) peut être formulée par les experts comme un problème de « perception des risques », avec l'introduction d'un décalage entre « risques objectifs » et « risques perçus », l'écart entre les deux permettant de mesurer le degré « d'acceptabilité sociale des risques » (Boudia, 2013). Au réalisme objectif des scientifiques s'opposerait l'irrationalité et la subjectivité des « profanes », dont la vision déformée de la réalité (par l'idéologie et les croyances) devrait être corrigée par le moyen de campagnes de communication et d'information (et ce par la diffusion de « bonnes conduites », de « bons comportements » en matière de sécurisation individuelle).
Les perceptions des acteurs paraissent souvent irrationnelles aux yeux des scientifiques dans la mesure où elles ne sont pas comprises ou s'écartent trop des raisonnements scientifiques ou techniques. Or, de nombreux travaux en sciences sociales montrent comment le comportement des acteurs et leurs perceptions des risques ne relèvent pas d'une irrationalité, mais se fondent sur des raisons solides (tel que le vécu) que les individus sont capables d'énoncer. Leurs comportements sont rationnels au sens où il y a des raisons qui les conduisent à agir comme ils le font.
a/ Les facteurs socio-psychologiques qui influencent la perception des risques
Des analyses psychosociologiques ont montré le caractère subjectif et différencié des processus de perception, d'élaboration d'attitudes, opinions et comportements.
Ces travaux montrent que les cadres d'évaluation du risque des « profanes » sont plus larges que ceux des « experts », qui ne tiennent pas forcément compte de la diversité des dimensions cumulatives qui vont avoir une influence sur la perception des risques.
Par exemple, un risque sera perçu particulièrement fort s'il est inconnu, subi, jugé injuste, et potentiellement grave. Ce sont autant de manières subjectives de définir les risques qui entrent en décalage avec les modèles d'évaluation des risques et de leur acceptabilité fondée sur une analyse « coût-bénéfice ».
b/ Les ressorts sociaux et culturels des risques
La manière dont les acteurs qualifient, désignent et évaluent une situation source d'incertitudes ne résulte pas seulement d'une évaluation des probabilités, mais elle mobilise également des connaissances, des acquis d'expériences, des savoirs, des valeurs (morales, culturelles, économiques, politiques) et des principes incorporés dans une trajectoire et des relations sociales.
Il est possible de tirer les enseignements suivant à partir des travaux de Wildavsky et Douglas sur les mécanismes sociaux et culturels de la perception des risques (1982) :
- aucun individu ni groupes ne peut se prévaloir d'avoir une perception des risques plus juste ; les experts ont une perception tout autant partiale et partielle du risque que les profanes.
- les risques technologiques et environnementaux que nous connaissons grâce à la science représentent une part infime par rapport aux nombreuses incertitudes qui persistent et de nombreux risques que nous ne percevons pas encore.
- les risques sont sélectionnés en fonction de normes sociales et culturelles, définissant le normal et le pathologique, le pur et l'impur
c/ Les faits et les connaissances scientifiques sont construites
Les travaux en sociologie des sciences (comme ceux de Bruno Latour) ont montré comment les connaissances scientifiques sont socialement construites au moyen d'interactions, de poursuites d'intérêts, de luttes constituées d'actions instrumentales, passionnelles, politiques ou encore spirituelles et ne dépendent donc pas d'une unique et pure rationalité externe de l'être humain. De même, les comportements des professionnels de santé publique, leurs analyses et leurs recommandations appartiennent aussi à un système de pensées, de valeurs, de normes et de croyances.
d/ La notion de « trouble » pour aborder la multiplicité des rapports aux risques
Une approche par les risques ne prend pas en compte la diversité des nuisances, en particulier celles qui ne bénéficient pas nécessairement d'une reconnaissance médicale ou d'une prise en charge par des institutions, pourtant revendiquée par des malades (c'est par exemple le cas des personnes se plaignant d'hypersensibilité aux substances chimiques ou aux champs électromagnétiques).
Une manière d'appréhender la pluralité des rapports aux risques consiste à prendre en compte la façon dont les acteurs vivent et qualifient leur trouble.
La notion de trouble est définie comme « les épreuves sensibles, affectives ou évaluatives qui perturbent l'assise d'évidence des choses de la vie quotidienne et qui conduisent [les personnes] à mener des enquêtes pour élucider en quoi consiste [leur] trouble.»
Daneil Cefaï, sociologue (1996)
Dans le cadre d'animations éducatives sur les questions socialement vives (QSV), les controverses sont alors moins considérées comme un dysfonctionnement ou une irruption malvenue dans l'ordre des choses, qu'un processus positif de production d'un enjeu politique et d'apprentissage collectif de l'exercice de la citoyenneté. Une QSV est un moment essentiel où s'expérimente pour les acteurs en présence la reconnaissance mutuelle de leurs divergences ou différences en vue d'agir sur leur santé et leur environnement.
Engager un modèle délibératif plus démocratique et favoriser le rapprochement entre science et société en santé-environnement nécessite l'implication des populations, professionnels, usagers, citoyens, ainsi que leur invitation à prendre part à des processus publics de discussion / décision / gestion et de contrôle des troubles. Créer un processus dialogique autour des QSV suppose que chacun doit-être entendu et accepte la pluralité des rationalités (scientifique et sociale).
Au modèle technocratique qui pousse le technicisme jusqu'au bout, le philosophe Habermas propose le « modèle pragmatique » qui aurait pour but « d'engager une discussion, débouchant sur des conséquences politiques, qui mette en rapport de façon rationnelle et obligatoire le potentiel dont la société dispose en matière de savoir et de pouvoir techniques avec notre savoir et notre vouloir pratiques » (Habermas, 1973, p. 77).
Julia Barrault, Les pratiques de jardinage face aux risques sanitaires et environnementaux des pesticides : les approches différenciées de la France et du Québec, Sociologie. Université Toulouse le Mirail - Toulouse II, 2012.
Ulrich Beck, La Société du risque. Sur la voie d'une autre modernité, Paris, Aubier, « Alto », 1986.
Soraya Boudia, « La genèse d'un gouvernement par le risque », dans : Dominique Bourg éd., Du risque à la menace. Penser la catastrophe. Paris cedex 14, Presses Universitaires de France, « L'écologie en question », 2013, p. 57-76.
Michel Callon, Pierre Lascoumes, Y. Barthes, Agir dans un monde incertain, Paris, Le Seuil, 2001.
Daniel Cefaï, « La construction des problèmes publics. Définitions de situations dans des arènes publiques », Réseaux, volume 14, n°75, 1996. Le temps de l'événement I. pp. 43-66
Daniau C, Salomon D, Legout C, Kermarec F, Dor F, Approche du contexte social lors d'un signalement local en santé et environnement. Document d'appui aux investigateurs, Risques et Intelligence, INVS, 2011.
Jurgen Habermas, La technique et la science comme« idéologie ». Gallimard, 1973.
Mary Douglas et Aaron Wildavsky, Risk and culture, An essay on the technological selection of technological and environmental dangers, Berkeley, University of California Press, 1982.