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Fiche posture et repère

Les compétences psychosociales : un levier pour éduquer à la santé-environnement

Mots clés

Le renforcement des compétences psychosociales (CPS) a fait ses preuves pour promouvoir des pratiques favorables à la santé (comme dans la prévention des addictions par exemple). Dans quelles mesures ces compétences peuvent-être mobilisées pour promouvoir la santé-environnement ? C'est l'objet de cette fiche repères qui fait le point sur ce que ce sont les CPS, les liens avec la santé-environnement et les manières de les mobiliser.

Au commencement étaient les émotions...

  Les liens entre santé et environnement sont multiples et on peut estimer que la santé humaine est étroitement liée à celle des écosystèmes. Ce lien concerne la dimension physique de la santé humaine : les effets des expositions aux pollutions environnementales via l'air, l'eau…mais aussi les bienfaits d'une exposition régulière à la « nature » (marche en forêt par exemple). Cela concerne également la santé mentale : les effets positifs à son contact comme la baisse du stress et les phénomènes d'éco-anxiété, de solastalgie ou de colère face à sa dégradation[1].  Il existe ainsi un continuum entre santé humaine et santé des écosystèmes qui suppose une approche plus systémique des enjeux où la place des émotions, du sensible, de l'empathie envers le vivant, de l'attention à soi et à ce qui nous entoure est à (ré)-affirmer.

     En effet, pendant longtemps, la tradition philosophique a plutôt considéré que les émotions constituaient un obstacle à l'action rationnelle et qu'il fallait ainsi chercher à les maitriser voire à les supprimer[2] plutôt qu'à les explorer et les comprendre. En outre, cette vision s'est souvent traduite par le primat de l'esprit, de la pensée à travers une approche dite « objective » du monde. Cette objectivation s'est faite au détriment d'approches plus sensibles créant un fossé entre l'humain et son environnement, « une relation sans responsabilité, sans émotion et sans sensibilité pour la nature »[3].

De plus, les travaux en psychologie ont montré la fonction régulatrice des émotions dans les prises de décision. Cette fonction intervient également dans les interactions sociales et donc dans l'action collective. L'émotion est ainsi étroitement liée à la motivation à agir [4]. L'exploration des émotions peut donc tout à la fois favoriser une meilleure conscience de soi et de son environnement. Plus largement, le renforcement des compétences psychosociales peut permettre d'intégrer le continuum entre santé humaine et santé des écosystèmes.

1. Les Compétences Psychosociales (CPS), de quoi parle-t-on ?

Les CPS ou aptitudes individuelles jouent un rôle majeur dans la santé au sens large : bien-être physique, mental et social. Leur développement vise à répondre efficacement au stress et aux évènements de la vie. Elles ont été classées par l'Organisation Mondiale de la Santé, en 2001, en trois catégories : émotionnelles, sociales et cognitives (voir schéma ci-dessous).

CPS

Les CPS se retrouvent au cœur de différentes finalités éducatives : le bien-être et la qualité de vie, la socialisation et l'autonomie, la citoyenneté et le vivre ensemble, la prévention des conduites à risque, les processus d'apprentissage et la réussite éducative et scolaire. Le développement des CPS peut influer sur la représentation que nous avons de nous-mêmes et des autres, de même que sur la manière dont les autres nous perçoivent. Les CPS contribuent au  sentiment d'auto-efficacité[1], de confiance en soi et d'estime de soi. Elles jouent un rôle important dans la construction du bien-être de chacun, qui lui-même enrichit nos motivations à prendre soin de nous et des autres[2].

Les CPS redonnent toute leur importance aux influences sociales dans la genèse des attitudes et comportements liés à la santé. Ce qui va déterminer nos actions, c'est le rapport entretenu entre soi, l'autre et l'environnement.

Pour que ces approches aient du sens et qu'elles favorisent l'autodétermination[3], il faut s'appuyer sur l'expérience de ce rapport. Cela passe par le débat, les études de cas, les expérimentations par exemple. La mise en place d'ateliers formels, ainsi que la posture des personnes constituant l'environnement social de l'individu, sont deux clés d'intervention pour permettre aux individus de développer et mobiliser leurs CPS. En pratique, le renforcement des CPS passe par des temps d'expérimentations puis de discussion-bilan sur les ressentis, le vécu, la conscientisation des compétences mises au travail. C'est par cette prise de conscience des compétences, forces et qualités qu'émergera le sentiment de capacité à pouvoir les réutiliser par la suite.

D'autres concepts sont proches de celui des CPS comme celui de résilience notamment, qui est la capacité à résister et se relever après les chocs. Les attitudes éducatives qui contribuent à renforcer ces deux types de compétences (CPS et résilience) sont les mêmes[4]. Dans les périodes de fortes incertitudes et changements, chaque individu s'appuie fortement sur ses compétences psychosociales et sa capacité de résilience pour faire face au quotidien. Mais tout l'enjeu du renforcement des CPS est de ne pas vouloir transformer les humains en « super-humains » capables de résister individuellement à la pression, capables de s'adapter à un environnement de plus en plus dégradé. Il s'agit plutôt de penser les CPS au service de l'intelligence collective permettant de s'affirmer, de résister, d'inventer des nouvelles formes d'organisation qui conjuguent relation aux autres et relation au vivant plus globalement.

 

2. Les compétences psychosociales utiles pour éduquer à l’environnement ?

Parmi les acteurs de l'Education relative à l'environnement, on postule souvent que développer dès l'enfance une relation sensible, positive à la nature renforcera à l'âge adulte l'engagement en faveur de la nature. Bien qu'il existe peu de recherches dans ce domaine, L. Chawla, professeur en psychologie environnementale à l'université du Colorado, qui s'intéresse aux facteurs susceptibles d'impacter la « sensibilité environnementale », a montré que ce sont bien les expériences en pleine nature qui influencent le plus l'enfant en ce sens, même si d'autres facteurs interviennent à l'adolescence et à l'âge adulte (accessibilité physique, économique, traits de caractère…).  Pour développer un sentiment de responsabilité et d'empathie envers d'autres êtres humains comme non-humains, il faut avant tout les rencontrer ! Il est difficile de protéger, de préserver et de chérir ce que nous ne connaissons pas. D'où l'importance pour les éducateurs de créer du lien avec les espèces alentours.

S. Wauquiez, psychologue, enseignante et éducatrice par la nature, réaffirme la place essentielle des émotions dans l'éducation. « Sans expériences émotionnelles, l'environnement reste abstrait, indifférent, loin de nous. On ne développe pas de sentiment d'appartenance. Être touché émotionnellement – de manière positive ou négative – est un facteur primordial pour se comporter de manière éco-responsable par la suite, dans le futur »[9].

D. Cottereau, coordinatrice du réseau d'Éducation à l'Environnement en Bretagne, propose une pédagogie qui lie compétences émotionnelles et cognitives ; une pédagogie à mi-chemin entre acquisition de savoirs et découvertes sensibles de la nature, pédagogie rationnelle et pédagogie émotionnelle. Dans cette perspective, il ne s'agit pas de faire l'apologie de l'émotion ou du sensible, mais bien de limiter la somme de connaissances pour introduire du sensible dans les apprentissages, dans le but de regarder le monde qui nous entoure à la fois sous l'angle de la relation personnelle et de la connaissance[10].

3. La nature, le dehors pour renforcer les compétences psychosociales ?

Bien que peu de recherches aient été menées sur l'intérêt de mobiliser les CPS pour éduquer à l'environnement, nombreuses sont les études qui prouvent que la nature et l'environnement extérieur plus largement nous aident à utiliser et renforcer davantage nos Compétences Psychosociales. Les compétences sociales sont mobilisées plus facilement lors de temps en extérieur, et dès la petite enfance.

Des études démontrent que dehors, les enfants âgés de 3 à 5 ans encouragent davantage leurs pairs, les incluent dans le jeu, partagent, donnent, coopèrent, aident, prennent soin des autres, réconfortent et félicitent[11]. Pour les adultes aussi la nature est un facilitateur social. Elle augmente les relations entre les personnes d'un même quartier[12]. Elle augmente aussi les inspirations prosociales, c'est-à-dire l'envie de se tourner vers les autres[13]. La créativité et la confiance en soi augmentent également avec le temps passé en extérieur. Les enfants qui passent de cinq à dix heures par semaine à jouer dehors font preuve d'une imagination, d'une créativité et d'une curiosité importantes[14]. Les chercheurs émettent l'hypothèse que la diversité multisensorielle de la nature (formes, sons et couleurs) permet aux enfants de se sentir plus vivants et les aide à bâtir leur confiance en eux.

Enfin, la nature est d'une grande aide dans la régulation émotionnelle. Les personnes vivant à proximité d'espaces verts sont moins stressées[15]. Les bains de forêt sont reconnus au Japon comme permettant de diminuer l'anxiété, la dépression, la fatigue, la confusion et la colère. Une marche d'une heure en forêt entraîne une baisse du cortisol (hormone du stress), et cet effet dure plusieurs jours[16].

4. Les compétences psychosociales pour l’Education et promotion de la Santé Environnement ?
L'Education et promotion de la Santé Environnement (ESE)
Afin de réduire les inégalités territoriales, environnementales et sociales de santé, l'ESE vise un renforcement du pouvoir d'agir des individus et des communautés sur leur santé, leur environnement et leurs interactions. Elle est mise en œuvre à travers des processus d'éducation et d'accompagnement au changement, partant des personnes, pour leur permettre de développer des habiletés individuelles et collectives.

Pour faire face aux défis actuels et à venir, il semble indispensable de développer chez les enfants et adultes des habiletés individuelles et collectives. La conscience de soi et des autres, l'empathie envers le vivant et le non-vivant, la capacité à coopérer, et prendre des décisions, l'identification de ses émotions, la gratitude envers la Terre, etc. seront autant de forces nécessaires pour évoluer dans un monde complexe, dans le respect de soi et des autres. Le tableau suivant éclaire chaque compétence au regard des enjeux soulevés par la santé-environnement.

tableau CPS
5. Les CPS et l’ESE en pratique

Concrètement, le renforcement des compétences psychosociales peut se faire de différentes manières. Des outils pédagogiques et des techniques d'animations spécifiques existent. D'autres sont à inventer et à animer de préférence en extérieur, en s'appuyant sur la pédagogie expérientielle. La création d'environnement physique et sociaux favorables à la mobilisation des CPS reste un préalable à tout atelier formel. Petit aperçu de démarches et méthodes éducatives…

Des répertoires d'activités

Il existe de nombreuses ressources mais il faut les repenser pour qu'elles soient au service de la santé-environnement.


Programme Recouvrance

Les hommes fourmillent, IREPS ARA, GRAINE ARA

Un programme évolutif de développement des CPS pour soutenir le pouvoir d'agir des individus face à l'adversité des phénomènes climatiques, écologiques, sociaux et/ou sanitaires.

Découvrir ce programme : Flyer de présentation


CAPSule Santé : la santé-environnement. FRAPS Centre – Val de Loire.

Ce classeur d'activités a pour objectif de permettre le développement des compétences psychosociales des jeunes de 7 à 12 ans tout en leur apportant des connaissances et compétences sur une thématique ciblées.


Carte défis sensoriel.  FRENE

Ce jeu de cartes, pensé pendant le confinement lié au covid, peut être utilisé chez soi, seul et avec peu de matériel.

Il s'adapte également aux différentes météos. Le but est de se connecter à l'environnement dans lequel nous nous trouvons qu'il soit urbain, ou plus sauvage, et ce à travers nos 5 sens.


L'approche sensible en éducation à la nature.Fédération CPN (Connaître & Protéger la Nature)

Ce Cahier Technique propose d'introduire l'approche sensible dans les pratiques pédagogiques pour renforcer le sentiment d'appartenance à la communauté du Vivant. Ce cahier présente de nombreuses activités à faire aussi avec des enfants que des adultes.

 

Notes de bas de page

[1] Pour découvrir des liens entre environnement et santé mentale, visionner les webinaires du Pôle ESE consacré à ce sujet.

[2] J. Ravat, Actions, émotions, motivation : fondements psychologiques du raisonnement pratique in Le Philosophoire n°29, 2007. https://www.cairn.info/revue-le-philosophoire-2007-2-page-81.htm

[3] Cottereau, D. et K. Tondeur « Accompagner la construction de l'être au monde dans sa relation à l'environnement : quelles approches pédagogiques du sensible pour favoriser les comportements écocitoyens ? », in ‘‘Analyses'', Productions de l'Institut d'Éco-Pédagogie (IEP), Juin 2019.

[4]J Ravat, Ibid

[5] Concept attribué à Albert Bandura. J'y arriverai : le sentiment d'efficacité personnelle. Entretien avec Albert Bandura.- CHAPELLE, G.- In : Sciences humaines n°148, avril 2004, pp. 42-45. http://www.irepspdl.org/_docs/Fichier/2015/2-150316040130.pdf

[6] La résilience en action, passeport pour la santé. Faire face aux difficultés et construire… Actes de la journée régionale du 28 novembre 2003 - CRAES-CRIPS Rhône-Alpes, 2004, 136 p. https://ireps-ara.org/portail/portail.asp?idz=482

[7] La théorie de l'autodétermination telle que définie par Ryan et Decy dans les années 1980, renvoie à la pratique volontaire d'une activité pour l'intérêt qu'elle présente en elle-même et en l'absence de récompense extérieure. Cette théorie s'appuie sur les besoins psychologiques fondamentaux (besoins de compétence, d'autonomie et d'affiliation).

[8] Les caractéristiques des tuteurs de résilience. - LECOMTE, J.- In : Recherche en soins infirmiers n°82, septembre 2005, pp 22-25

[9] Tondeur, K., « Susciter dès le plus jeune âge un engagement en faveur de la nature : une affaire d'émotions, de pratiques et de postures pédagogiques. Interview avec Sarah Wauquiez », in ‘‘Analyses'', Productions de l'Institut d'Éco-Pédagogie (IEP), Décembre 2018.

[10] Cottereau, D. et K. Tondeur, ibid.

[11] Voir les travaux de Acar et Torquati, 2012, 2015 ; Dyment, 2005 ; Jørgensen, 2016 ; McClain et Vandermaas-Peeler, 2016.

[12] Voir les travaux de Frances E Kuo, Sullivan, Coley, & Brunson. 1998

[13]Voir les travaux de Weinstein et al. 2009 ; Stefan et Gueguen 2016.

[14]Voir les travaux de l'Université d'État du Michigan, 2014.

[15]  Voir les travaux de Skov & Lansdab. 2005.

[16] Voir Li Qi, 2019.