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Type
Fiche posture et repère

Qu’est-ce que le pouvoir d’agir ? A quoi peut-il servir ?

Mots clés

Que ce soit dans le secteur de l'action sociale, de la santé, de l'éducation, du développement international ou encore de la gestion des ressources humaines, le concept « pouvoir d'agir », traduction « d'empowerment, est régulièrement cité. Utilisé de façon diffuse depuis les années 70, il a donné lieu à d'importants efforts de traduction et de conceptualisation. Malgré cela, il reste encore difficile à circonscrire.

Quelles définitions et dimensions pouvons-nous retenir ? Quels objectifs poursuit-il ? Quel lien entretient-il avec la notion de « participation » ? Comment se traduit-il dans les pratiques ? Quelles sont ses limites ?

Cette fiche s'inscrit dans la continuité d'une journée d'échanges « Comment renforcer le pouvoir d'agir en santé-environnement » organisée le 14 novembre 2019 par le Pôle régional Education et Promotion de la Santé-Environnement.

1. L'empowerment, une notion ancienne et plurielle

Il n'existe pas de traduction française permettant d'évoquer l'ensemble des dimensions de l'empowerment, d'où de nombreuses tentatives (capacitation, puissance d'agir, pouvoir d'action), dont la plus satisfaisante semble être celle de « pouvoir d'agir ».

Le terme anglophone empowerment inclut 2 dimensions : la notion de pouvoir et le processus d'apprentissage pour y accéder. Il s'agit donc à la fois d'un état (je suis renforcé dans mon pouvoir, ma capacité à faire…) et d'un processus (je suis en cours d'être renforcé dans mon pouvoir) qui peut être individuel (je suis renforcé) ou collectif (mon groupe, ma famille, les habitants de mon quartier, mon équipe de travail sont renforcés).

L'empowerment a plusieurs histoires qui se croisent et s'influencent mais qui ont des visées politiques très différentes. M.H Bacqué et C. Biewener proposent une typologie de « 3 modèles d'empowerment » qui appréhendent la notion de façon différente, voire lui donne un sens opposé :

« 3 modèles d'empowerment »

 

La multiplicité des interprétations de la notion d'empowerment est certes source de confusion, toutefois cela témoigne de la malléabilité de la notion que se sont appropriés de nombreux acteurs. Parmi eux, les professionnels de l'intervention sociale bénéficient probablement de l'un des « cadres méthodologiques » de l'empowerment le plus abouti.

2. Le pouvoir d’agir vu par le champ de l’intervention sociale

Une définition qui s'affine

C'est « un processus par lequel des personnes accèdent ensemble ou séparément à une plus grande possibilité d'agir sur ce qui est important pour elles, leurs proches ou la communauté à laquelle ils s'identifient » (Le Bossé 2012).

Le développement du pouvoir d'agir des personnes visent trois niveaux d'objectifs :

  • A l'échelle individuelle (de la personne) : favoriser son autonomie, son bien-être (acquisition d'une image positive de soi, acquisition de compétences pour porter un regard critique et développer des stratégies),
  • A l'échelle sociale, d'un groupe de personnes (association, quartier…) : développer sa capacité d'agir « avec » et d'« agir sur »,
  • A une échelle politique, plus globale : modifier l'organisation jusqu'à une transformation de la société vers plus de justice sociale.

Une méthode pour intervenir dans le secteur social : le DPA PC

Le Bossé et Dufort ont traduit la notion d'empowerment par Pouvoir d'agir, puis l'ont complétée pour obtenir le Développement du pouvoir d'agir des personnes et des collectivités (DPA PC). Cette terminologie constitue une approche spécifique de l'empowerment.

Elle permet de souligner 4 éléments intrinsèques à la notion :  

  • La question du pouvoir : pour les auteurs, le terme « vise ici cette nécessité de réunir les ressources individuelles et collectives à l'accomplissement de l'action envisagée. » Le pouvoir est considéré comme une « ouverture des possibles ».« Ce type de pouvoir est un pouvoir sur les choses qu'il faut distinguer du pouvoir sur autrui ou du pouvoir sur soi.»1
  • La place de l'action : pour accéder à ces ressources, il est nécessaire d'agir sur les obstacles d'ordre personnel mais aussi d'ordre structurel. On vise l'affranchissement (s'affranchir des obstacles) et non plus l'adaptation (aux obstacles). Le pouvoir d'agir ne doit pas se transformer en devoir d'agir. De plus, « ce pouvoir d'agir se distingue également du simple passage à l'action. Il ne s'agit pas simplement de devenir plus actif, comme si la passivité ou l'apathie constituait le problème à résoudre. »1
Quelle différence entre la demande et le besoin ?
Le besoin va être identifié de façon unilatérale par l'accompagnant.
La demande provient de la personne accompagnée et n'est pas forcément de l'ordre du besoin mais de la préférence.
Le besoin identifié est parfois très éloigné de la demande exprimée.
  • Le terme développement souligne que le pouvoir d'agir n'est pas seulement un résultat, mais aussi un processus qui consiste à réunir les ressources nécessaires à l'atteinte d'un objectif
  • Enfin, l'intervention peut concerner aussi bien des personnes que des groupes ou collectifs de personnes.

Le DPA PC en pratique

Chaque intervention amène le professionnel à s'adapter à une personne en particulier et à son contexte spécifique, il n'existe pas de mode d'emploi type de l'intervention. Le praticien est placé « dans une posture de créateur, d'inventeur de solutions ponctuelles pour des situations uniques2». L'approche centrée sur le DPA ne se rattache pas à une « méthode théorique » en particulier, mais s'inspire de façon pragmatique d'approches diverses qui peuvent contribuer au DPA.

Y. Le Bossé propose toutefois 4 axes ou portes d'entrée pour guider l'action du professionnel dont l'objectif est de créer les conditions pour faire émerger le changement face à une situation qui pose problème à la personne ou collectif accompagné :

  • Préalable / Définir avec précision ce qui pose problème : quel est le problème ? Que souhaitez-vous changer ?
  • Axe 1 / Adoption d'une unité d'analyse d‘acteurs en contexte : dans cette situation particulière, qui veut changer quoi et pourquoi ?
  • Axe 2 / La prise en compte du point de vue des personnes dans la définition du problème et des solutions envisageables : qu'en pensent les premiers concernés ?
  • Axe 3 / La prise en compte des contextes d'intervention : qu'est ce qui est possible ici et maintenant ?
  • Axe 4/ Adoption d'une démarche d'action conscientisante : qu'est ce qui a été tenté et quels enseignements pouvons-nous en retirer ?

Les implications sur la posture du professionnel3

Le professionnel interroge le contexte en se positionnant comme « ignorant » : il tente de comprendre concrètement ce qui se passe pour la personne dont il ignore tout de la situation et dans laquelle il n'est pas amené à jouer un rôle. L'enjeu est de découvrir ensemble les opportunités et les ressources dans le récit d'une situation qui semble bloquée.

  • Le champ d'intervention du professionnel s'élargit pour englober tous les déterminants individuels et situationnels qui font obstacle à la démarche d'affranchissement de la personne qu'il accompagne (Axe 1).
  • Le professionnel ne définit pas seul le problème et les solutions mais prend systématiquement et explicitement en compte le point de vue de la personne accompagnée pour déterminer conjointement le changement envisageable (Axe 2). Le changement est initié à partir des deux sources d'expertise, l'intervenant agit comme « un compagnon de projet ».
  • Il n'y a pas de réponse standard (le changement est contextuel). Le développement du pouvoir d'agir d'une personne ou d'un groupe ne s'effectue que dans un contexte spécifique avec une ou plusieurs personnes particulières (Axe 3).
  • Lorsque cela est possible, dépasser l'action strictement « réparatrice » et intégrer des actions qui contribuent à réduire les obstacles structurels rencontrés par la personne. Cela suppose de conduire une réflexion systématique sur les effets de nos actions et les enseignements tirés, avec la personne accompagnée, pour aider à la prise de conscience des causes des difficultés rencontrées, notamment les causes structurelles (Axe 4).
3. Le pouvoir d’agir : instrument du pouvoir ou reprise du pouvoir ?

« Dans ses versions radicales et féministes, l'empowerment désigne un « processus sociopolitique » qui articule une dynamique individuelle d'estime de soi et de développement de ses compétences, avec un engagement collectif, et une action sociale transformative. Or le succès de la notion dans l'intervention sociale comme dans le développement international s'est accompagnée de l'affaiblissement, voire de l'abandon des dimensions sociales et parfois collectives au profit de démarches thérapeutiques ou de responsabilisation individuelle4. »

L'empowerment remplit-il ses promesses sur le plan politique ? La notion peut-elle aider à développer une société plus juste ? Plusieurs auteurs considèrent qu'il « relève plus d'un idéal – indispensable pour enclencher un processus de changement social et politique – que d'une réalité stabilisée faisant consensus. Il se heurte à l'épreuve des faits et principalement à la répartition asymétrique des ressources, des formes de légitimité. Pour les auteurs les plus critiques, l'empowerment participe d'un processus de recomposition piloté par l'Etat5 ».Derrière cette notion se dessine donc un réel enjeu politique dont doivent se saisir les acteurs de terrain. L'éducation et la promotion de la santé-environnement s'inscrit clairement dans une visée transformative qui cherche à favoriser une meilleure répartition du pouvoir.

Pouvoir d'agir et santé : quelles données probantes ?

Un article de l'OMS (Wallerstein N (2006). What is the evidence on effectiveness of empowerment to improve health ?) traduit par l'IREPS Bretagne en 2009, apporte des éléments de réponse à la question suivante : Dans quelle mesure, selon les bases factuelles disponibles, l'autonomisation améliore-t-elle la santé ?

Globalement l'autonomisation apporte une meilleure gestion de la maladie par l'autorégulation, un meilleur usage des services de santé et une meilleure santé mentale.

L'implication des leaders d'opinions locaux, d'acteurs de terrain et de militants, de décideurs politiques et la mise en œuvre d'interventions adéquates sur le plan culturel constituent des leviers d'efficacité des stratégies d'empowerment.

La Banque Mondiale a identifié 4 caractéristiques communes aux actions participatives générant de l'empowerment : « l'accès des populations aux information sur les questions de santé publique, leur implication dans les processus de décision, la capacité de l'organisation locale à formuler des demandes envers les institutions et les structures décisionnaires, et le fait que ces dernières aient des comptes à rendre aux populations. »

Les stratégies répondant à l'objectif d'empowerment produisent des résultats d'ordre psychologique, organisationnel et politique dans tous les types de populations. Ces résultats sont synthétisés dans le tableau suivant.

Résultats d'ordre psychologique, organisationnel et politique dans tous les types de populations

 

4. Développer le pouvoir d’agir : méthodes et actions

Des méthodes

La grande majorité des méthodes pour agir sur l'empowerment s'appuie sur des stratégies participatives et sur le récit, le vécu des personnes et des groupes.

Les méthodes de l'éducation populaire constituent des ressources essentielles pour renforcer le pouvoir d'agir et il en existe un large éventail : groupe d'interview mutuel, entrainement mental, enquête conscientisante, arpentage, théâtre forum…

  • Le groupe d'interview mutuel

Activité à réaliser en petits groupes de 3 personnes. L'objectif est de valoriser l'expérience personnelle des participants : chaque participant raconte une anecdote sur le thème proposé. L'animateur.trice reste en retrait et permet ainsi aux participants de comprendre leur importance dans la réflexion et l'action collective.

  • L'arpentage

Lecture collective d'un document ou corpus de documents pour en faciliter la compréhension par le groupe grâce à la réflexion collective.

Pour découvrir ces méthodes et d'autres méthodes 

 

Des actions inspirantes

  • Développer le pouvoir d'agir dans un quartier, en lien avec l'alimentation

Projet coopératif de la Conserverie mobile et solidaire porté par les centres sociaux de la ville de Romans : Actions participatives de sensibilisation à l'alimentation locale, au circuit court et au gaspillage alimentaire à destination des habitants de la ville.

http://www.maisonsdequartier.fr/actions/projets/122-conserverie-mobile-et-solidaire

  • Accompagner un collectif de chômeurs

Création d'un groupe d'entraide entre chômeurs pour échanger sur leur situation et se soutenir dans leur recherche en partageant leurs réseaux. Cette action impulse une dynamique collective, elle permet aux personnes en recherche d'emploi de s'emparer de leur projet et de trouver un emploi qui fait sens pour eux.

https://www.aequitaz.org/projets/boussole/

  • Accompagner des salariés intra entrepreneurs

Accompagnement à l'initiative en entreprise pour amener les salariés à s'approprier les enjeux environnementaux sur leurs lieux de travail afin qu'ils créent des dynamiques collectives intra entreprises.

https://www.reseaufeve.fr/

5. Bibliographie